Jacques Ellul – Islam et judéo-christianisme

Jacques Ellul figurait dans les lectures obligées de l’un de mes cours à Concordia dans les années 1970, Propagande. Je me souviens avoir été surpris, m’intéressant au Christianisme une dizaine d’années plus tard, d’apprendre qu’il était aussi théologien protestant.

J’ai encore une fois été surpris de retrouver le même Ellul comme influence manquante pour Guillebaud dont je vous ai parlé récemment ici. À la Bibliothèque nationale, j’ai mis la main sur un excellent petit bouquin qui a été publié il y a trois ans, une dizaine d’années après le décès de Jacques Ellul. Ellul, philosophe, sociologue, théologien, protestant, de la région de Bordeaux, où il s’est converti dans le temps de la deuxième guerre, il a été dans résistance. Homme intéressant dans son parcours.

Dans Islam et judéo-christianismes, Ellul aborde les trois grands «piliers du conformisme» des Chrétiens par rapport aux Musulmans. Trois grandes idées qui sont courante aujourd’hui: les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans sont tous des fils d’Abraham, des monothéistes qui pratiquent une religion du Livre. Il s’efforce de démontrer le contraire.Jacques Ellul dénone ici l’ambiguïté stérile de rapprochements trop rapides entre le christianisme et l’islam

Ce petit livre est fort intéressant et permet de remettre les pendules à l’heure. Il m’aidera certainement dans ma réflexion quant à l’Islam. Ce dont je vous reviendrai plus tard.

Voici quelques extraits qui m’ont frappé:

Dieu change mais non! Il est Tout. Simplement, la relation qu’il établit avec l’homme se modifie en effet. Et le point ultime de cette aventure de « Dieu avec l’homme » sera évidemment l’incarnation de Jésus-Christ., qui n’est pas un événement radicalement. Nouveau, mais qui pousse jusqu’à l’extrême cet accompagnement, jusqu’à une union dorénavant indissociable. (…)

De plus, dans la mesure où nous parlons d’amour, nous impliquons la liberté. Car il n’y a aucun amour sous la contrainte ou par la force, l’amour suppose une liberté, et on ne peut jamais interpréter les commandements comme un « Tu dois aimer… ». Dieu, le Libre par excellence, sait mieux que nous encore qu’il. N’y a aucun amour obligé. Le « commandement » : « . Tu aimeras… » est certes la présentation d’un devoir mais surtout d’une promesse: viendra le temps où tu pourras aimer en vérité.

De nouveau, nous voyons l’infinie différence entre les deux livres. Dans le Coran où il n’est pas question d’amour, nous sommes en présence d’un devoir et d’une soumission illimités, comme peine de l’Enfer. Islam, soumission, et cette soumission est toute entière résumée dans le Coran. Ainsi le livre judéo-chrétien est celui d’une promesse et d’une ouverture de liberté, le livre du Coran est celui de la contrainte et du définitif. Si pour nous, en effet, Jésus-Christ est venu une fois pour toutes, pour notre salut, la révélation du Coran est: une fois pour toutes sans possibilité de retour en arrière ni espérance d’un salut (que nous ne méritons pas). Et l’opposition est d’autant plus grande quand nous songeons que d’un coté Dieu a parlé et s’est tu, de l’autre, Dieu continue à se révéler et à parler au croyant et à son Église, au cours de l’histoire. (…)

Il est celui qui attend constamment un retour vers lui, un élan d’amour. Et que l’on ne dise pas qu’il s’agit d’un anthropomorphisme grossier. Ceux qui pensent ainsi ont encore cette conception tout à fait anti-biblique du Dieu Éternel, Impassible, Souverain, Juge, et ils oublient le simple fait de l’Incarnation, la souffrance de Dieu. Donc , là encore, incompréhensible pour l’islam, car il y a un monde de différence entre Allah le Miséricordieux et Compatissant, et puis IHWH, non moins souverain, mais qui se met à la place de celui qu’il a créé (non pour le juger comme dit le Coran) pour être son vis-à-vis dont il ne peut se passer puisque, il est amour, et qu’il lui est indispensable d’avoir en face de lui qui aimer – et celui là, amour également (puisqu’il a été crée à son image et à sa ressemblance), destiné à aimer, qu’il a aimé le premier! (…)

Il y a des ressemblances de MOTS entre la révélation biblique et l’islam qui cachent la différence fondamentale. Il est question. De Dieu, de tout-puissant, d’un SEUL Dieu , créateur, d’Esprit, de péché, de jugement suivi d’une résurrection, le tout contenu dans un livre révélé… Tout cela conduit évidemment à considérer qu’il y a une grande proximité avec la Révélation biblique.

Il faut revenir sans cesse au fait que c’est Jésus-Christ qui nous empêche d’identifier l’attitude biblique et l’attitude islamique. (…) Parce que la présence ou l’absence du Seigneur Jésus-Christ change du tout au tout le contenu de ces notions mêmes. La Bible, à l’encontre du Coran, nous parle d’un Dieu d’Amour, en qui le Père et le Fils s’aiment d’un amour éternel, d’un Dieu qui a choisi d’exercer sa toute-puissance transcendante dans l’extrême abaissement et l’extrême proximité de l’amour; d’un dieu dont la révélation dans l’histoire s’opére non par des mots, non par un livre fait d’avance, mais par une rencontre personnelle, avec une personne.

Jacques Ellul, Islam et judéo-christianisme, Presses Universitaires , Paris, 2004, ISBN-10: 2130542158